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Prothèses bioniques : du hightec pour les bras et les jambes

Santé / Innovation

7700 : c’est le nombre total de personnes amputées parmi la population belge, ce qui met en exergue l’importance des prothèses et de l’amélioration de leurs performances. C’est à cela que travaillent des équipes universitaires belges reconnues pour leur expertise des nouvelles prothèses, comme celle de Louvain Bionics. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Renaud Ronsse, son coordinateur.

Complications liées au diabète, traumatisme, pathologie congénitale, cancer…  On dénombre en Belgique environ 7700 personnes à avoir subi une amputation, avec 1800 nouveaux cas par an. Pour ces personnes, il est pourtant essentiel de continuer à bouger, surtout en cas de maladie vasculaire. Grâce aux prothèses, elles peuvent heureusement retrouver de la mobilité et préserver leur autonomie. Et la bonne nouvelle, c’est que ces prothèses deviennent de plus en plus perfectionnées, notamment avec la montée en puissance des prothèses bioniques.

Une expertise belge des prothèses bioniques

Certaines prothèses bioniques sont désormais de véritables bijoux de technologie et d’innovation, ce qu’elles doivent entre autres au travail d’équipes belges à la pointe de la recherche. C’est notamment le cas de Louvain Bionics, le centre de recherche de l’UC Louvain coordonné par Renaud Ronsse.

L’ambition de Louvain Bionics et de Renaud Ronsse est claire : faire avancer les connaissances et le savoir-faire liés aux prothèses, et de la sorte permettre aux patients de profiter des dernières avancées de la recherche en robotique et dans le champ de la bionique. Cela se fait en privilégiant une approche interdisciplinaire, à cheval entre les sciences de la technologie, les sciences humaines et les sciences de la santé. L’on retrouve donc dans l’équipe de Louvain Bionics des ingénieurs, des psychologues, des médecins ou encore des kinés.

Une prothèse bionique, c’est quoi ?

Le mot « bionique » est la contraction de « biologique » et « électronique » : cette science étudie des systèmes biologiques pour les reproduire de façon non biologique. Et l’on parle de prothèses bioniques pour désigner les nouveaux modèles de prothèses mobiles et motorisées. Leur principe de fonctionnement ? Des capteurs vont mesurer l’activité des muscles du moignon et, grâce à un moteur, la transformer en mouvements de la prothèse, pour restaurer au maximum la fonction qu’assurait le membre manquant, au-delà de sa fonction esthétique.


Prothèse bionique de cheville conçue par François Heremans, doctorant dans l’équipe de Renaud Ronsse au Louvain Bionics 

« Les prothèses bioniques se composent d’équipements électroniques capables de traiter de l’information et de moteurs à même d’échanger de l’énergie mécanique avec l’utilisateur et son environnement », précise Renaud Ronsse, coordinateur de Louvain Bionics. Mais ces prothèses hightech sont-elles déjà disponibles sur le marché pour les patients amputés ? « On voit de plus en plus de prothèses bioniques débarquer sur le marché, avec des spécificités différentes selon qu’il s’agit de remplacer un membre supérieur, par exemple une main ou un bras, ou un membre inférieur, comme une jambe. » 

Prothèses du haut ou du bas du corps : des défis différents

Pour les bras, par exemple, le confort des utilisateurs passe par une prothèse la plus légère possible. L’idée n’est dès lors pas de concevoir une prothèse dont le poids est similaire à celui du membre manquant. Comme l’objectif principal des prothèses de bras et de mains est de retrouver l’autonomie dans les gestes du quotidien, la mobilité prime donc sur la résistance des matériaux. Et c’est pour cela que l’on voit également émerger nombre de projets de prothèses imprimées en 3D.

Les matériaux utilisés pour ces bras bioniques ou ces mains prosthétiques sont par contre trop fragiles pour les jambes, car il faut combiner les propriétés de deux articulations complètement différentes et supporter un poids considérable. On estime que les genoux doivent supporter un poids équivalent à 3 à 6 fois celui du corps lors de la marche. Il faut donc opter pour des matériaux comme des métaux ou des composites. Renaud Ronsse : « pour nos recherches en laboratoire, nous utilisons principalement des matériaux métalliques, mais nous nous intéressons aussi aux composites, comme la fibre de carbone. Ce matériau a pour atouts sa légèreté, critère essentiel pour une prothèse qui devra toujours être plus légère que le membre originel, mais aussi sa capacité à être déformable, ce qui se traduit par des performances mécaniques intéressantes. »

Prothèses bioniques de la main : saisir et manipuler  

Renaud Ronsse : « de plus en plus de prothèses bioniques contrôlées myoélectroniquement permettent d’ouvrir et fermer la main. En clair, les capteurs de ces prothèses myoélectriques mesurent l’activation des muscles résiduels. Et via un dispositif électronique, l’activité de ces muscles et le message nerveux vont être transformés en signal électrique pour commander un moteur, qui permettra par exemple d’effectuer ces mouvements de la main artificielle. » 

Et plus l’amputation est haute, plus le défi technique à relever est important. « On va trouver dans ce cas des prothèses myoélectriques qui vont combiner la main avec un poignet, voire un coude ou une épaule. Bien entendu, la mise au point de ces prothèses sera d’autant plus complexe ! » 

Prothèses bioniques de la jambe : propulser et freiner

Ce sont les mêmes principes bioniques et myoélectriques qui sont utilisés pour la prothèse d’un membre inférieur, mais avec des différences liées à sa fonctionnalité, comme l’explique Renaud Ronsse. « Là où la prothèse de la main servira à saisir ou manipuler des objets, celle du membre inférieur propulsera le corps de l’utilisateur pour qu’il retrouve de la mobilité. Ces prothèses doivent donc être capables de reproduire ce mouvement de propulsion qu’effectue une cheville saine. Dans le cas d’un genou bionique, c’est un autre mouvement qui doit être reproduit. Le moteur jouera dès lors un autre rôle, à savoir freiner la jambe, qui est en réalité la fonction naturelle première assurée par cette articulation dans le mouvement de la marche. »


Prothèse bionique de cheville conçue par François Heremans, doctorant dans l’équipe de Renaud Ronsse au Louvain Bionics

Des prothèses bioniques haut de gamme, mais pas que…

Si ces prothèses bioniques appartiennent au haut de gamme de la technologie, il existe aussi des solutions plus simples. Renaud Ronsse : « d’autres prothèses plus basiques  fonctionnent de manière purement mécanique. Dans ce cas, la personne pourra par exemple ouvrir et fermer une main ou un crochet en effectuant un mouvement au niveau de son coude ou de son épaule. En clair, c’est en bougeant une articulation restante qu’il va pouvoir activer un mécanisme pour guider sa main, sans passer par un dispositif électronique ou un moteur. »

Un substitut, mais pas un vrai remplaçant

Mais même si les prothèses bioniques offrent plus de fonctionnalités que leurs sœurs mécaniques, elles ne sont pas encore capables  de jouer exactement le même rôle que le membre amputé. Renaud Ronsse : « les prothèses essaient de remplir une fonction la plus proche possible de celle qu’assurait naturellement le membre manquant, mais on n’en est pas encore là.  La prothèse de la main ne permettra par exemple pas de lacer des chaussures avec la même dextérité qu’auparavant. »

Une autre chaîne de commandement

Entre membre naturel et prothèse bionique, la chaîne de commandement des mouvements diffère d’ailleurs fondamentalement, comme l’illustre Renaud Ronsse : « dans le cas de la prothèse bionique, il n’y a pas comme à l’état naturel de communication directe de l’utilisateur vers sa prothèse. La chaîne fonctionne en réalité dans l’autre sens : la prothèse va mesurer les informations de son environnement, et selon la nature des infos captées, elle va adopter un comportement précis. Un exemple ? Pour une prothèse de jambe, des capteurs vont détecter les contacts avec le sol et les analyser. Cela permettra notamment de définir la position à prendre ou l’amplitude d’une accélération, données indispensables pour que l’utilisateur puisse marcher. Mais pour la personne qui dispose d’une telle prothèse, l’exercice reste de la haute voltige, en partie parce qu’il s’agit d’infos incomplètes par rapport à ce que notre corps analyse naturellement. Des études ont d’ailleurs démontré qu’il était épuisant de marcher avec ces prothèses, entre autres parce qu’il faut beaucoup plus réfléchir pour effectuer le moindre mouvement. »

Prothèses classiques vs prothèses de sport

Passons maintenant sur les terrains de sport et en particulier sur les pistes de course en parlant des lames, prothèses destinées aux sportifs de haut niveau. Il s’agit dans ce cas de prothèses 100 % mécaniques, donc sans dispositif bionique.

Un effet ressort

Fabriquées en métal et fibres de carbone, elles offrent aux athlètes des performances égales, voire supérieures à celles de sportifs valides. Elles jouent en réalité le même rôle qu’un ressort, et cela les prédestine aux disciplines de course. Pourquoi ? Tout simplement parce que la course est en réalité une succession de bonds enchaînés, ce qui est parfaitement en phase avec les performances des lames. Ces lames stockent l’énergie produite lorsqu’elles touchent le sol et la restituent sous la forme d’un rebond, avec une efficacité énergétique absolue.  Mais si ces prothèses sont idéales pour la pratique de la course, elles sont par contre inutilisables pour marcher, et donc pour un usage au quotidien.

Dans quelles catégories ? 

Les performances offertes par ces prothèses ont par ailleurs soulevé une interrogation : dans quelle catégorie doivent concourir ces athlètes ?  Le temps record de Jarryd Wallace, athlète américain amputé d’une jambe, se situe seulement 1,13 seconde au-dessus du record du monde d’Usain Bolt. Et tout le monde a en mémoire les performances d’Oscar Pistorius, qui  a participé aux Jeux Olympiques de Londres en 2012, et qui a aussi obtenu avec l’équipe sud-africaine du 4X400 mètres une médaille d’argent aux championnats du monde d’athlétisme.

Combien coûte une prothèse bionique ?

Aujourd’hui, le prix d’une prothèse bionique reste important : son ticket d’entrée se situerait aux alentours de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Renaud Ronsse : « avec de tels montants, les prothèses bioniques ne sont donc clairement pas encore accessibles pour tous. Car à l’heure actuelle, ces équipements de pointe ne sont pas encore pris en charge par l’Inami. Mais sur un marché en plein essor et dans l’hypothèse où elles seraient développées pour un plus grand public, on peut imaginer que le point pourrait être mis sur la table des négociations médico-mutualistes. »

Quel futur pour les prothèses bioniques ? 

Si le marché des prothèses bioniques est en plein essor, la recherche n’est pas en reste et bouillonne aussi d’idées et d’innovation. Selon Renaud Ronsse, on peut cibler trois pistes d’évolution pour les années à venir : l’autonomie des batteries, l’interfaçage avec l’utilisateur et les infos fournies à l’utilisateur par la prothèse.

Autonomie des batteries

« Il est essentiel de faire progresser l’autonomie des prothèses bioniques. Les performances de chargement de leurs batteries sont pour le moment clairement insuffisantes, ce qui a un impact immédiat sur le confort de l’utilisateur et sur les performances. »

Interfaçage entre utilisateur et prothèse bionique

« Un deuxième axe important d’évolution est celui de l’interfaçage entre l’utilisateur et sa prothèse, donc la capacité de la prothèse à lire les infos envoyées par cet utilisateur sur ses intentions : saisir un objet, ouvrir la main, avancer la jambe... »

Communication de la prothèse vers l’utilisateur

« La troisième évolution attendue se situe de l’autre côté de la chaîne : faire en sorte que la prothèse puisse mieux informer la personne sur ce qu’elle ressent. Un exemple ? Lorsque l’on saisit naturellement un objet, notre main nous communique un nombre incalculable d’informations qui vont influencer la manière dont on manipule l’objet : quel est son poids ? Est-il sec ou humide ? Glissant ou rugueux ?  L’ambition est donc de doter la prothèse d’un retour sensoriel complet sur ce qu’elle touche. Et cela s’effectue avec des capteurs pour sentir, un microprocesseur à même de transformer l’info collectée en comportement humain attendu, le tout transmis aux nerfs par des impulsions électriques. De telles évolutions sont déjà testées en laboratoire, et on peut espérer qu’elles profitent au patient d’ici quelques années. »

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