Décryptage du génome humain, thérapies géniques… En nous dévoilant ses mystères, notre ADN pourrait bien révolutionner la médecine. On vous explique pourquoi.
« Génome : ensemble de l’information génétique d’un individu. »
Derrière cette définition a priori simple se cache en réalité un enjeu fondamental pour nous tous. Non seulement d’un point de vue médical, mais aussi éthique et sociétal. Pour bien comprendre pourquoi, nous avons fait le tour du propriétaire.
Mais qu’est-ce donc que ce génome humain capable de déchaîner de telles passions ? Présent dans le noyau de chacune des cellules de notre corps, et donc dupliqué à des dizaines de milliards d’exemplaires, le génome est notre code génétique propre. Ce code génétique est constitué de l’ensemble de nos gènes qui vont déterminer nos caractéristiques spécifiques d’individu.
D’un point de vue physiologique, ce code génétique est inscrit dans notre ADN (acide désoxyribonucléique) imprimé sur nos 23 paires de chromosomes. Les molécules d’ADN s’étirent sous la forme de plusieurs filaments, un pour chaque chromosome, formant ensemble un très long fil d’un mètre de longueur, le tout replié dans le noyau de nos cellules.
Chaque molécule d'ADN est elle-même constituée d’éléments basiques, les nucléotides. Il existe 4 types de nucléotides : l’adénine (A), la thymine (T), la guanine (G) et la cytosine (C). Au total, 3 milliards de nucléotides composent ce fil d’ADN qui détermine nos particularités.
Mais pourquoi ce fil d’ADN est-il différent pour chaque personne alors qu’il est toujours composé des 4 mêmes éléments basiques ? Parce que l’ordre dans lequel s’enchaînent ces 3 milliards d’éléments est unique chez chaque être humain. Cet ordre de succession spécifique, qu’on appelle la séquence, va aussi déterminer les caractéristiques de nos gènes. Nos gènes sont en réalité de très courtes séquences d’ADN, comme l’explique cette vidéo.
Pour mieux comprendre ces notions de génome, gènes et bases nucléotides, comparons comme le fait dans cette conférence le professeur Michel Georges de l’Université de Liège l’ADN à une énorme encyclopédie de 23 volumes. Chacune de nos paires de chromosome correspond à un de ces volumes.
Dans notre encyclopédie et comme dans n’importe quel livre, l’élément de base est la lettre. C’est elle qui va permettre de former des mots, puis des phrases, des chapitres… Et c’est l’ordre dans lequel s’enchaînent ces lettres, mots et phrases qui vont faire que l’encyclopédie et les histoires qu’elle raconte sont uniques et ont du sens.
Au niveau de notre ADN, ce sont les bases nucléotides qui font office de lettres. Et selon la manière dont elles sont assemblées, elles forment nos gènes, que l’on peut donc comparer au message derrières les mots et phrases de notre encyclopédie.
Dans le contexte du génome, l’histoire racontée par le biais de cette suite de 3 milliards de signes, donc notre code génétique, est en réalité un plan détaillé du fonctionnement du corps humain.
Et nos gènes sont donc des morceaux de séquences de nucléotides de notre ADN. Certains de ces gènes sont codants, ce qui veut dire qu’ils vont donner à nos cellules des instructions.
Ce sont ces instructions qui vont initier la fabrication des dizaines de milliers de protéines qui activent la machinerie complexe de notre corps. Comme l’hémoglobine qui transporte l’oxygène. Ou les anticorps qui nous protègent des agressions extérieures. Et ce sont aussi ces instructions transmises par nos gènes codants qui vont déterminer nos caractéristiques physiques, comme la couleur de nos yeux, de nos cheveux ou notre taille.
Et l’on en revient au génome et à son séquençage complet, un défi relevé avec succès par la communauté scientifique au début des années 2000. Lorsque l’on parle de ce séquençage du génome humain, il est en réalité question du travail d’identification, donc de lecture, de cette suite de milliards de nucléotides composant l’ADN d’une personne. L’enjeu de l’exercice ? Comprendre ce plan de notre corps pour mieux le faire fonctionner.
Et le jeu en vaut la chandelle. Car en arrivant à décrypter, mais surtout à comprendre toutes les informations stockées dans ce génome, on mise sur une médecine plus performante, à la fois prédictive et personnalisée.
Pourquoi parle-t-on de médecine prédictive ? Parce qu’en captant le(s) message(s) de notre ADN, la médecine espère identifier un risque futur de maladie et agir de manière anticipative pour limiter ce risque, avant que la personne ne soit malade. Cette médecine prédictive diffère donc de l’approche réactive dans laquelle le médecin intervient après l’apparition des symptômes.
Et la médecine génomique personnalisée ? Ici, il est avant tout question de traitement. Pourquoi ? Parce que la lecture de notre ADN permet aussi d’identifier nos prédispositions à réagir positivement à certains traitements. Car nous ne sommes pas tous égaux devant la médication : les taux de réponse à certains traitements peuvent varier de 20 à 80 % selon nos particularités génétiques.
Comment expliquer ces prédispositions ? Certaines maladies, par exemple un cancer, peuvent en effet avoir pour origine une mutation génétique. Mais selon les individus, cette mutation peut différer. Donc un traitement agissant sur une mutation génétique particulière n’aura pas d’effet sur une autre. Il soignera donc un patient, mais n’agira pas sur un autre patient atteint pourtant de la même maladie. Chacun de ces patients aura dès lors besoin d’un traitement spécifique pour espérer guérir.
Et le lien entre ce constat et le génome ? Dès lors que le séquençage génomique d’un individu permet d’identifier la mutation génétique à la base de la maladie, elle permettra aussi de choisir le bon traitement, personnalisé pour chaque patient.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là et la science génomique n’en est qu’à ses débuts. Car s’il est désormais possible de déchiffrer la séquence complète du génome d’un individu, il faut aussi être capable d’en comprendre les messages. Comme l’expliquait lors de cette conférence le professeur Michel Georges, sommité belge de la génétique et lauréat du prix Franqui, « décrypter le génome, c’est être capable de décrypter la séquence des lettres où sont écrites les recettes qui nous déterminent. » Le défi est donc là : comprendre ces recettes… et les utiliser. Aujourd’hui, nous en sommes encore très loin : nous ne comprenons le sens que de petites parties de ce génome.
Mais attention : le décryptage du génome et son hypothétique compréhension absolue ne signifient pas non plus que tous les événements ‘santé’ de notre vie sont écrits d’avance, et donc prédictibles à 100 %. Car l’arrivée de certaines maladies lourdes, comme le cancer, est bien souvent provoquée par d’autres facteurs que la génétique. Des facteurs environnementaux comme l’alimentation, l’exposition à des substances toxiques… En clair, les prédispositions génétiques ne sont que « des facteurs de risque parmi d’autres, souvent de faible importance », comme le rappelle le Professeur Damien Sanlaville, chef du service de génétique auprès du centre hospitalier universitaire de Lyon.
Ces facteurs extérieurs qui agissent en réalité sur l’expression de nos gènes font l’objet de toutes les attentions de l’épigénétique. L’idée de base de cette discipline ? L’information génétique ne circule pas que dans un sens. Si les gènes donnent des instructions pour fabriquer des molécules, certains mécanismes externes, nos fameux facteurs environnementaux vont eux aussi transmettre un message aux gènes. Par exemple en le déprimant, c’est-à-dire en lui ordonnant de ne plus donner son message de production de protéines. Donc en clair, ces facteurs vont allumer ou éteindre des gènes sans pour autant modifier leur séquence.
Si chaque individu possède son propre génome, une grande partie de l’ADN est néanmoins commune à tous les êtres humains. Grâce au séquençage du génome, on sait que ce patrimoine génétique commun correspond à 99 % de notre ADN. Cette différence de 1 %, soit une variation tous les 1000 nucléotides, est bien plus importante que ce que l’on estimait avant ce décryptage, puisqu’on tablait alors sur une concordance génétique de 99,9 % entre tous les humains.
C’est précisément sur ces différences que se focalisent le gros des recherches de la communauté scientifique. Car c’est aussi là que l’on va trouver la signature génétique de certaines affections, par exemple un gène associé à une maladie rare. C’est aussi dans cette portion de gènes différents que l’on trouvera des indicateurs du risque d’apparition de certaines maladies comme le cancer, l’asthme ou le diabète.
Le séquençage complet du génome humain a donné lieu à une vraie course contre la montre, pleine de suspense et de rebondissements.
Initié en 1989 par un consortium international public de scientifiques, le projet génome humain s’était fixé pour objectif d’effectuer le séquençage complet de l’ADN humain, avec un budget estimé à 3 milliards de dollars et l’ambition de boucler le projet en 15 ans.
Mais en 1998, branle-bas de combat : Celera Genomics, une société privée, se lance aussi dans la course. Et cela provoque des réactions indignées de la communauté scientifique pour qui la connaissance du génome fait partie de notre patrimoine commun et ne doit en aucun cas tomber entre les mains du privé.
Il s’en est suivi une course effrénée entre les deux adversaires, avec en 2001 l’annonce quasi simultanée par Celera et le consortium international du décryptage ‘brut’ du génome… et une nouvelle indignation du consortium public, car Celera s’est en grande partie basé sur les données publiées en ligne par ce consortium au fur et à mesure de l’avancée de leurs recherches.
Basées sur l’analyse de l’ADN de nombreuses personnes et consolidées pour obtenir un génome type de l’être humain, ces séquences brutes comportaient encore de nombreuses imperfections et manquements. Mais en 2004, le consortium public international publiera une version améliorée et complète du génome humain.
Cette première étape a été le point de départ d’autres recherches, avec notamment pour objectif la mise au point de techniques de décryptage plus rapides et moins onéreuses. Les avancées toujours rapides des technologies TIC et des outils de gestion du Big Data ont donné un nouveau coup d’accélérateur à la recherche. Et aujourd’hui, le décryptage du génome d’un individu peut se faire en un jour et coûte moins de 1000 euros.
Ces succès engrangés ne sont cependant qu’un point de départ. Car le décryptage du génome ne signifie pas pour autant que l’on est capable de comprendre toute l’information qui s’y trouve, ni a fortiori d’agir en vue de modifier ces messages à des fins thérapeutiques.